Texte : Isabelle Aubailly
© Photos : Ninon de Buyl
C’était le rêve de Maguelone Vidal, architecte à Montpellier qui aspire à donner du sens à ses projets. Elle a œuvré à redonner vie à cette chapelle du 19ème siècle, une bénédiction pour Maguelone.
Notre-Dame du Cénacle ce fût un coup de foudre mais une lente approche pour apprendre à mieux se connaître, à se respecter. La chapelle semblait vivante, telle une grande dame, réconfortante et accueillante, portant son histoire débutée à la fin du 19ème siècle.
L’enjeu de cette rénovation : préserver le bâtiment originel dans toute sa splendeur, tout en y injectant les codes du XXIème siècle, et en faire un lieu de travail hors du commun.
Faire se rencontrer et s’épouser le passé des lieux et une écriture contemporaine en recherche de sérénité.
Maguelone s’est laissée imprégner par la magie du lieu, par son passé, par sa présence.
Dès l’entrée dans la chapelle, la première impression témoigne de la réconciliation entre ancien et futur, chaque élément du décor est magnifié dans une mise en scène intemporelle. On est saisi par la beauté de la pierre, du plafond peint et des coursives à la gloire d’un temps révolu. C’est un parti-pris de sobriété qui guide l’architecte.
Les murs sont blancs, pour mettre en valeur la voûte, l’architecture, les objets et œuvres d’art disséminés de part et d’autre.
Au cœur de cette magnifique enveloppe, un escalier monumental, bleu Klein, s’élève vers le ciel dans un élan parfaitement maîtrisé. Une confrontation magistrale entre l’épure du design et la richesse de l’art sacré.
La lumière sublimée par les vitraux selon les heures a été travaillée très simplement à l’intérieur. Des tubes lumineux souples suspendus de manière aléatoire renvoie la lumière et la sobriété du décor. Au premier étage, le regard est attiré par l’enfilade des voûtes à croisée d’ogives, et ce plafond d’origine dont la peinture quelque peu fanée amènent à la contemplation du lieu.
Une invitation à suivre la voie de la beauté pour mieux ressentir, ouvrir les yeux et l’esprit.
Peux-tu nous raconter l’histoire de cette chapelle et ce qui a motivé sa réhabilitation en bureaux ?
En 1893, les sœurs de Notre-Dame du Cénacle acquièrent une ancienne manufacture, une villa et les terrains attenants situés rue des Carmélites à Montpellier.
L’année suivante, en 1894, elles font construire une chapelle au cœur de cet ensemble immobilier.
En 1963, les bâtiments accueillent la communauté du foyer international Thérésianum – Compagnie de Sainte-Thérèse – qui y installe une résidence pour étudiantes.
En 2021, l’ensemble est repris par le Groupe SPAG et devient le Parc des Carmélites. La chapelle est alors désacralisée.
En 2024, la SCI Le Cabinet d’Architecture fait l’acquisition de la chapelle et lance un vaste chantier de rénovation. Notre ambition : offrir à la chapelle une nouvelle vocation tout en préservant son âme et l’intégrité de son architecture.
Plutôt que de transformer, nous avons choisi de révéler. Révéler la beauté des volumes, la noblesse des matériaux et la force des proportions.
Les voûtes, les ouvertures et l’équilibre d’origine de l’édifice ont été conservés et mis en valeur, devenant la clé de voûte du projet.
Parallèlement, les usages contemporains sont intégrés : espaces de travail ouverts, zone de réunion, de repos, circulations fluides. Les fonctions techniques sont, elles, rejetées à l’arrière, préservant l’esprit et la sérénité du lieu.
L’escalier bleu Klein, conçu spécifiquement pour cette chapelle, s’impose comme une pièce maîtresse. Véritable sculpture contemporaine, il structure l’espace et dialogue avec l’histoire du lieu.
Cette réhabilitation illustre l’équilibre subtil entre conservation et réinvention. Elle redonne vie à un patrimoine architectural remarquable, en l’ancrant dans les usages d’aujourd’hui.
Aujourd’hui, cette chapelle réinventée abrite notre agence d’architecture : un espace où patrimoine et modernité se rencontrent pour inspirer le travail de chaque jour.
Comment concilier respect du patrimoine et adaptation à des usages contemporains ?
C’était tout l’enjeu du projet. Nous avons choisi de préserver les volumes, les vitraux et la fresque du chœur, tout en intégrant des aménagements réversibles et compatibles avec un usage de bureau. L’idée n’était pas d’effacer l’histoire, mais de composer avec elle, de façon à ce que le passé reste lisible au quotidien.
Quelles références ou inspirations t’ont guidée ?
La seule inspiration qui m’a guidée, je l’ai trouvé en entrant dans ce lieu : la sérénité.
Dès le moment où j’ai franchi le seuil de La Chapelle, je savais que ce serait “chez moi“. Il ne me restait plus qu’à illuminer ce lieu qui avec les années s’était transformé et avait subi les marques du temps. Mon intervention a consisté à lui redonner clarté, fluidité et transparence.
J’ai choisi de révéler ses volumes et ses matières, de mettre en lumière ses voûtes et ses proportions, et d’y inscrire une intervention contemporaine et forte avec l’escalier bleu Klein, pensé comme une sculpture. Ainsi, la chapelle retrouvait son âme tout en s’ouvrant à une nouvelle vie.
Quelles ont été les contraintes techniques les plus marquantes (structure, acoustique, luminosité, accessibilité) ?
La principale contrainte était le manque de luminosité : il a fallu créer de nouvelles fenêtres pour amener davantage de lumière naturelle, sans trahir l’architecture d’origine. Les ouvertures avaient été condamnées, les murs étaient couverts de suie noire, le sol s’était assombri.
L’acoustique représentait aussi un vrai défi, les volumes de la chapelle génèrent beaucoup de résonance, il a fallu trouver des solutions discrètes pour améliorer le confort sonore.
Enfin, la peinture murale du chœur, déjà fragilisée, s’est encore dégradée au fil des travaux. Nous travaillons aujourd’hui à la protéger pour assurer sa conservation à long terme.
Y a-t-il eu des discussions particulières avec les Bâtiments de France ou des instances de protection du patrimoine ?
Oui. Ce sont des discussions qui ont eu lieu en amont. Des discussions qui portaient surtout sur la préservation du parc et des bâtiments dans leur ensemble. Pas uniquement La Chapelle.
Concernant la chapelle l’ABF a été exigeante sur la rénovation extérieure et a demandé la conservation des vitraux sur la façade principale. Je suis ravie de cette “obligation”.
Il a été autorisé le remplacement des vitraux latéraux par des verres clairs, j’aurais aimé garder les vitraux d’origine.
Quels matériaux ou dispositifs avez-vous privilégiés pour garder l’esprit du lieu ?
Ma plus grande envie était de m’effacer. Il n’était pas question de transformer la chapelle, juste de la sublimer. Sans quoi j’aurais choisi un lieu bien différent ! Une chapelle, même désacralisée, est un symbole très fort, qui éveille beaucoup de curiosité et d’envie aussi.
Alors, pas de dispositif particulier : des pots de chaux blanche et la rénovation des sols existants.
Seul l’escalier en métal vient contraster fortement avec l’héritage XIXème néo-roman.
Et toute la zone plus “technique“ est dissimulée.
Y a-t-il eu un travail particulier sur la lumière naturelle, souvent importante dans les chapelles ?
La lumière entre naturellement par les ouvertures existantes, mais nous voulions lui donner un complément poétique. Nous avons ajouté des tubes lumineux souples, à la teinte légèrement jaune, suspendus de manière aléatoire. Leur tracé accompagne les courbes, les moulures et les creux, créant un éclairage doux et chaleureux. Ces ajouts contemporains s’accordent parfaitement avec l’architecture ancienne, en valorisant ses lignes sans les masquer.
Y a-t-il un détail architectural dont tu es particulièrement fière ?
Ce que je préfère dans ma chapelle ce sont les coursives du premier étage et l’enfilade des voûtes à croisée d’ogive. Assez étroites elles offrent une perspective dont je ne me lasse pas. La perspective est sublimée par les vitraux qui viennent la clore et dès la fin d’après-midi amènent une lumière incroyable… taches de couleurs qui suivent le mouvement du soleil. C’est juste sublime et je pourrais rester là, debout, contemplative…
Comment les gens qui y travaillent vivent-ils ce cadre si particulier ?
Un véritable sentiment de calme et de sérénité. Le cadre inspire et donne une dimension particulière au quotidien. Certains affirment même que cela favorise la concentration et la créativité. Nous considérons que c’est une chance unique de pouvoir appeler la chapelle notre bureau de travail, un privilège rare qui nous relie à l’histoire du lieu.
Si tu devais retenir une leçon de ce projet, laquelle serait-ce ?
Qu’il est possible de réinventer un patrimoine fragile sans le trahir. Une chapelle désaffectée pouvait sembler condamnée ; au contraire, elle a trouvé une nouvelle vie. Cela prouve qu’on peut donner de nouveaux usages aux lieux tout en les préservant pour les générations futures.
Peux-tu me nommer les différents corps de métier
qui ont œuvré dans cette réhabilitation ?
Architecte : Maguelone Vidal Architectures.
Menuisier : Philippe Simon & Fils.
Électricien : Brice Simeon.
Maçon : Jamal Koubia.
Ferronnier : D Métal – Xavier & Benoît Durand.
Peintre : Hicham Foulous.
Plomberie : Tommy Cluzel.
Sol granito terrazzo : Baumman & Bishard.
Sol bois : La Main de l’Homme, Cyril Strotz.
Soubassements bois : Mistral Panels.
Interventions diverses : Jean-Philippe Arragon.
Mobilier : USM Haller (Architruc & Balthaz’art), Bolia,
Zanotta, Cassina (Les Dénicheurs), Vitra, Domus.
Luminaires : suspensions Jane de chez XAL , Artémide, Belux.
Art : Philippe Jaq, Karen Thomas, Christophe Arbieu, Alice Roux.