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Texte : Isabelle Aubailly
Photos © : Maxime Flori
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Leclère, c’est une adresse rare. Un lieu où la sincérité du geste, la justesse du goût et le respect du vivant se conjuguent au quotidien. Une étoile qui brille discrètement, mais sûrement.
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Montpellier, terre d’adoption et de maturité.
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De retour dans l’Hérault, il enchaîne les maisons de renom : le Domaine du Ranquet à Anduze, fréquenté par une clien-tèle internationale, puis il suit Anne Majourel à Sète, en 2011 à la Coquerie, où elle récupère sans difficulté son étoile. En 2014, un passage par Sète confirme son attachement à la mer. L’année suivante, il ouvre enfin son propre établissement à Montpellier, dans le quartier Sainte-Anne. « J’avais besoin de liberté. De créer un lieu à mon image, à taille humaine. » 20 places assises : le succès est immédiat.
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En 2021, il décoche une étoile Michelin, et après les mois difficiles d’isolement dû au Covid, il réfléchit à un lieu nouveau, innovant, unique et plus spacieux.
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Repensé de fond en comble avec l’architecte Pierre-Cyrille Acquier, le lieu est à la fois radical et accueillant : une cuisine ouverte, un plafond en inox perforé, des tables en quartzite sans nappe, de la vaisselle artisanale. Tout est pensé pour servir une cuisine lisible, directe, vivante.
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Une cuisine d’instinct et de saison
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Pas de carte figée chez Guillaume. Le menu s’écrit chaque jour en fonction des arrivages.
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« On travaille en direct avec les producteurs : aux Arceaux, à Saint-Jean-de-Védas, Mauguio, Sète et La Rochelle. La saison dicte le rythme. »
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Ma cuisine est très sensible à la saisonnalité. Je viens d’une famille nombreuse, cinq frères et sœurs, où on mangeait en-semble. Ce lien à la table, au partage, m’a beaucoup marqué. La sincérité est son maître mot. Pas de maquillage, pas de mise en scène inutile. Le produit est travaillé dans son jus, avec précision. Même les desserts – qu’il signe lui-même – obéissent à cette règle : « Ce sont des desserts de cuisinier. Instinctifs, frais, alignés avec le reste. »
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Un lieu pensé pour l’expérience sensorielle
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Dans l’assiette comme dans la salle, chaque détail compte. Le choix des matériaux, la lumière, les textures, la chaleur du bois. La vaisselle est conçue par trois céramistes différents, en har-monie avec les saisons. « Le printemps est une saison magique : les couleurs, les légumes qui renaissent après l’hiver. On sort des racines pour retrouver la fraîcheur. »
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Même la communication est calibrée : le site internet joue sur le mystère, la carte reste volontairement discrète, et le photo-graphe Maxime Flori vient régulièrement capter l’évolution du lieu et des plats.
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Libre, mais pas solitaire
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Si Guillaume Leclère revendique une forme d’indépendance, ce n’est pas par goût de l’isolement, mais pour rester fidèle à son tempo. La course à la deuxième étoile ? « Ce n’est pas un objectif. Ce que je cherche, c’est la cohérence. L’étoile, on l’a. Elle nous pousse à être justes, à maintenir le cap. Mais ce n’est pas une quête. »
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Entretien avec Pierre-Cyrille Acquier, architecte du restaurant Leclère
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Comment avez-vous abordé la transformation de cet ancien cabinet médical en restaurant gastronomique ? Le lieu d’origine était un plateau totalement brut, du sol au plafond. Rien n’était en place. Il s’agissait d’un espace vide, sans structure ni repère, ce qui offrait une grande liberté, mais aussi un vrai défi. Il fallait imaginer entièrement l’univers du restaurant à partir de zéro. L’objectif ? En faire un restaurant gastronomique contemporain, où les matériaux bruts font écho à la cuisine sincère du chef.
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Quelles ont été les principales contraintes architecturales et comment les avez-vous surmontées ?
Le lieu était atypique. Il n’avait ni terrasse, ni vue sur l’extérieur, à l’exception d’un puits de lumière. La seule “ouverture” vers l’extérieur, c’est ce puits, et l’unique spectacle visible, c’est la cuisine. Ce parti pris a immédiatement orienté notre réflexion : faire de la cuisine le centre d’attention, l’attraction principale. « C’est elle que l’on voit en premier. Elle est le cœur du lieu. » On a structuré l’espace en deux parties : une première pièce servant de sas d’entrée, et une longue pièce en forme de couloir. Ce couloir, long de 8 mètres, est habillé de miroirs qui reflètent les arches du restaurant. Ce n’est pas un miroir classique : il ne renvoie pas la lumière de manière directe, mais donne à voir des reflets flous, comme une impression. On y perçoit des silhouettes, le passage du tramway… C’est une forme d’illusion. Ce couloir, long de 8 mètres, agit comme un espace de rupture spacio temporel qui nous sépare de la banalité du quotidien et nous emmène vers un espace soigné et raffiné. Ce sas est habillé de miroirs dans lesquels se reflètent 155 LED serties au sol. Ce n’est pas un hasard si elles ne sont pas toutes allumées au même moment. Cette installation évoque directement la cuisine d’arrivage : tout n’est pas toujours disponible, mais c’est ce qui déclenche la créativité. Ainsi, le motif sera différent à chaque nouvelle venue, de même que l’assiette…
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Quelle a été l’implication du chef Guillaume Leclère dans la conception ?
Guillaume a défini ses contraintes techniques et ses besoins fonctionnels pour la cuisine, qui devait être totalement ou-verte et extrêmement bien pensée. Ensuite, il m’a laissé carte blanche sur le choix des matériaux, le style, l’ambiance. Il m’a fait confiance, ce qui est rare et précieux.
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Comment avez-vous intégré les éléments historiques du lieu, comme les arches ?
Les arches existantes ont été restaurées. Elles ont guidé toute notre trame architecturale. On les retrouve interprétées dans la paroi de la cuisine, réalisée en inox, un matériau très contemporain. Cette ré-interprétation donne une cohérence à l’en-semble et crée un lien entre passé et présent. Même le couloir, plus contemporain, reprend cette forme.
J’aime m’appuyer sur ce que le lieu offre. Je m’inspire tou-jours du contexte pour mettre en valeur le lieu en fonction de sa destination.
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Quels matériaux avez-vous privilégiés pour créer une ambiance contemporaine et chaleureuse ?
Un mélange subtil entre des matériaux très techniques – inox, granit, quartzite – et des bois nobles comme le noyer et le chêne. Le granit, aux marques d’extraction encore visibles, vient du Portugal. Le bois, noyer et chêne, adoucit les lignes. Les tables sont en quartzite, mêlant sobriété et densité minérale. L’éclairage joue aussi un rôle essentiel. Il ne s’agit pas seulement d’éclairer, mais de révéler. Je suis très attentif à la manière dont la lumière dialogue avec la matière. J’aime les matériaux qui racontent quelque chose, qui portent la trace du geste.
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Comment décririez-vous l’identité visuelle du restaurant Leclère en quelques mots ?
C’est un lieu sobre, épuré, mais chargé de sens. Un restaurant construit autour de la cuisine, dans une forme de mise en scène discrète. L’expérience visuelle est pensée comme une continuité de l’expérience culinaire. Dans un lieu sans fenêtres, c’est la lumière elle-même qui devient architecture. La réflexion, l’ombre, le rythme du service, tout est mis en scène avec finesse, sans jamais voler la vedette à l’assiette.
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Quelles émotions souhaitez-vous susciter chez les clients ?
L’idée, c’est de surprendre. De créer un lieu qui ne ressemble à rien d’autre. Le premier restaurant avait connu le succès, mais l’étoile a imposé un nouveau départ. Il fallait un lieu sur mesure, totalement pensé pour la cuisine d’arrivage, pour ce rapport direct au produit. On voulait que le client ressente immédiatement qu’il entre dans un endroit unique. Une expérience complète, où l’architecture s’efface pour mieux révéler ce qui compte : le goût, l’instant, le vivant.
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En quoi ce projet diffère-t-il de vos autres réalisations ?
Concevoir un restaurant sans fenêtre ni terrasse à Montpellier, c’est presque un contre-sens… Mais justement, cela nous a poussés à être encore plus créatifs. Ces contraintes sont de-venues une force. Comme en cuisine : quand on travaille avec des produits de saison, on s’adapte, on invente.
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Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?
Le contexte d’abord : je m’imprègne toujours du lieu. Ensuite, la nature, la lumière, les vues. J’ai commencé par le design d’intérieur, je suis autodidacte à la base, puis j’ai passé le diplôme d’architecte récemment… Le jour de l’obtention de mon diplôme, c’était aussi le jour où le restaurant Leclère a ouvert. Un double accomplissement.
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Des projets à venir ?
Je travaille actuellement sur un nouveau restaurant aux Arceaux, avec l’équipe de La Cigale. À suivre de près.
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LECLÈRE
8 rue André-Michel, Montpellier
restaurantleclere.com