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Texte : Isabelle Aubailly
Au cœur de Montpellier, sous l’impulsion de l’architecte Emmanuelle Navarro, cette villégiature des années 50 refait sa vie sans effacer l’ancienne. Sur cette toile de fond, pièces iconiques et art contemporain réunissent histoire et modernité donnant à la villa une vitalité intemporelle.
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Comment transformer une maison de famille des années 50 sans en gommer la mémoire ?
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L’héritage d’un patrimoine oblige parfois des décisions sensibles. Un sujet majeur dans la rénovation de cette villa marquée par le choix de préserver sa façade et ses murs à histoires. Construite dans les années 50 par un des architectes de la fontaine du Trocadéro, cette villa faisait partie d’un ensemble avec une seconde villa à l’architecture similaire dans un seul et même jardin. Réalisée à la demande du propriétaire pour réunir toute sa famille en un seul lieu. Depuis les lots ont été séparés mais Emmanuelle Navarro a tenu à rénover la façade côté rue et ses murets à l’identique pour retrouver l’élégance d’antan. Le reste de la maison va être totalement désossée afin de marquer sa métamorphose et de proposer un changement radical pour s’adapter à nos vies actuelles.
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Quand l’histoire démarre, le bâti initial présente deux étages distincts, celui du rez-de-chaussée sert de débarras tandis que le premier étage est l’espace où l’on vit. Relier les deux étages disparates dans un même volume cohérent fût le défi d’Emmanuelle. Il a consisté à tisser des liens autour d’une écriture commune. Dix mètres de hauteur sous-plafond, rythmés par une magistrale ouverture dessine l’horizon d’une maison pensée comme un espace vivant et chaleureux.
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L’entrée avec sa perspective sur l’extérieur créée à l’aide de ce puit de lumière force l’admiration. Une continuité visuelle entre intérieur et extérieur, une volonté d’inscrire le paysage dans le prolongement de cette maison sur deux niveaux.
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De larges ouvertures s’inventent, la lumière et la ré-appropriation de l’extérieur dessinent un nouvel horizon.
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Emmanuelle a imaginé une nouvelle vie autour du jardin avec des espaces libres où l’on retrouve un large salon totalement ouvert sur la nature, une cuisine à l’épure radicale en bois clair, une salle à manger au mobilier design.
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Le sol en béton ciré clair unifie le rez-de-chaussée où canapés contemporains mais aussi éléments anciens chinés, œuvres et objets d’art, s’invitent dans le décor avec évidence.
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À l’étage revisité, on retrouve la lumière naturelle, les couleurs douces et ce dialogue entre mobilier contemporain et histoire. Les matières, bois massif, laque blanche se confrontent aux arrondis de l’aménagement intérieur, aux textures et aux tonalités neutres.
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À l’extérieur les ouvertures sont marquées par des persiennes moucharabieh qui écrivent avec le soleil, des allégories sur le sol de béton. Un bassin habillé de mosaïques italiennes bleu émeraude dévoile une eau mystérieuse comme celle d’un abreuvoir ancien.
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Emmanuelle Navarro adepte des variations en blanc, des choix minimalistes signe ici un projet d’une belle envergure. Dans une chorégraphie parfaite où s’aiguise l’inspiration et s’exprime son goût de la découverte et de la prise de risques. L’exercice n’était pas aisé, son énergie a transcendé les murs pour métamorphoser cette belle endormie des années 50 en repaire lumineux à l’élégance rare.
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Rencontre avec Emmanuelle Navarro, architecte DPLG
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En quoi cette maison typique des années 50 présente-t-elle un intérêt particulier ou des défis spécifiques ?
Cette maison n’est pas tout à fait typique : elle illustre une période de transition technique, où l’on commence à exploiter pleinement les qualités du béton armé dans la construction domestique. Ce qui m’a frappé, c’est son caractère hybride. Elle combine un appareillage en pierre avec une mise en œuvre bétonnée très présente : les pierres sont scellées entre elles avec du béton et non jointées à la chaux, ce qui donne à l’ensemble une lourdeur constructive très particulière. Cette technique, relativement rare dans le bâti résidentiel de cette époque, témoigne d’une volonté d’expérimentation et d’efficacité structurelle. Cela rend l’intervention délicate, car on ne peut pas l’aborder comme une maison en pierre traditionnelle ni comme une construction 100 % béton.
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Quels éléments d’origine avez-vous souhaité conserver ou valoriser ?
Nous avons souhaité conserver les éléments qui racontaient l’histoire de cette maison : certaines façades en pierre, bien sûr, mais aussi plusieurs détails de serrurerie très caractéristiques, avec des motifs légèrement Art déco. L’entrée, marquée par un porche en retrait, portait également une identité forte, que nous avons préservée et remise en valeur dans le nouveau projet.
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Quelles étaient les principales problématiques identifiées lors du diagnostic initial du bâtiment ?
La première difficulté a été de comprendre la logique constructive de l’ensemble : les murs en pierre, scellés au béton, rendent la structure très rigide et peu respirante. Il a donc fallu trouver des solutions compatibles pour améliorer les performances thermiques sans créer de désordres liés aux matériaux d’origine.
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Mais au-delà des contraintes techniques, la véritable problématique résidait dans les usages. La famille vivait essentiellement à l’étage, comme dans un très grand appartement, tandis que le rez-de-chaussée pourtant de surface équivalente n’était pas exploité comme un espace de vie. Il servait de zone de stockage : garage, ancienne cuve à fioul, buanderie, chambre bricolée dans le prolongement du garage… Des espaces immenses, tournés vers le jardin, mais sans statut clair ni qualité d’habitation. Il s’agissait donc de transformer cette partie en un véritable lieu de vie, en exploitant pleinement son potentiel spatial, tout en reconnectant les deux niveaux dans une continuité fonctionnelle et sensible.
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Quels ont été les objectifs de cette réhabilitation (amélioration thermique, redistribution des espaces, ouverture, lumière, etc.) ?
Les enjeux principaux étaient de rendre cette maison plus confortable sur le plan thermique et lumineux, tout en préservant son identité. Nous avons beaucoup travaillé sur la redistribution intérieure pour fluidifier les circulations et ouvrir les pièces à la lumière. Un travail fin a aussi été mené sur l’isolation, en intégrant des matériaux compatibles avec la structure existante. Il fallait également donner une nouvelle valeur d’usage au rez-de-chaussée : le rendre habitable, chaleureux, relié au jardin, et capable d’accueillir des espaces à part entière comme des chambres, un bureau, ou un espace semi-indépendant.
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Quelles ont été les grandes lignes de votre parti-pris architectural pour ce projet ?
Il s’agissait de révéler la singularité de cette maison sans la dénaturer. Nous avons donc conservé ses éléments marquants le parement en pierre, la structure lourde, le dessin de l’entrée tout en simplifiant les interventions contemporaines : des lignes sobres, des matières naturelles, une mise en valeur de la lumière, pour ne pas concurrencer l’identité forte de l’existant. Le parti architectural s’est appuyé sur la logique initiale du bâtiment, en la prolongeant de manière lisible et respectueuse, avec des interventions qui dialoguent avec l’ancien sans chercher à l’imiter.
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Le grand geste architectural a consisté à créer une baie vitrée en double hauteur, véritable cœur du projet. Elle permet d’installer un rapport renouvelé à l’extérieur, d’ouvrir une perspective directe depuis l’entrée vers le jardin, et d’apporter une lumière traversante dans des espaces clés comme la cuisine. Cette intervention affirme une nouvelle organisation spatiale, plus fluide et contemporaine, tout en respectant les proportions et la matérialité de l’existant.
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Quels matériaux ou procédés constructifs avez-vous privilégiés et pourquoi ?
Nous avons privilégié des matériaux sobres, durables et compatibles avec l’existant, afin de préserver l’équilibre du bâtiment tout en lui apportant du confort, de la matière et de la cohérence. Les murs périphériques en pierre ont été recouverts d’un enduit plâtre, ce qui permet à la fois de lisser thermiquement les parois, de corriger certaines irrégularités et d’unifier visuellement l’ensemble. Certains murs intérieurs en pierre ont été mis à nu puis rejoints à la chaux, ce qui permet de les intégrer comme éléments de caractère dans la nouvelle composition intérieure, tout en assurant une meilleure gestion de l’humidité. À l’extérieur, un mur en pierre conservé dans le jardin a lui aussi été restauré avec un jointoiement à la chaux, participant à la continuité entre intérieur et extérieur.
Au rez-de-chaussée, nous avons réalisé un sol en béton ciré quartz, qui unifie les espaces et apporte une écriture contemporaine et sobre, en cohérence avec le reste du projet. L’ensemble de ce niveau a été peint avec un badigeon à la chaux, qui offre une lumière douce et naturelle, tout en respectant la logique de matériaux respirants et réversibles. À l’étage, un parquet en frêne a été posé sur lambourdes, apportant une chaleur visuelle et une teinte claire qui valorise la lumière naturelle. Les portes intérieures ont été réalisées sur mesure en bois, dans un esprit de continuité artisanale avec les détails d’origine. Enfin, les menuiseries extérieures ont été remplacées par des châssis en aluminium, performants sur le plan thermique et acoustique, mais au dessin discret, pour ne pas altérer la lecture architecturale du bâtiment. Tous ces choix répondent à une logique d’équilibre entre préservation du caractère d’origine, amélioration des usages et cohérence esthétique.
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Comment avez-vous pris en compte les usages contemporains (flexibilité des espaces, lumière naturelle, etc.) ?
L’enjeu était d’adapter une maison conçue à une époque où les fonctions étaient très cloisonnées, à des modes de vie actuels plus ouverts et évolutifs. Nous avons donc redéfini les volumes pour créer de vraies séquences de vie, plus ouvertes, plus lumineuses, avec une logique de plateau. La lumière naturelle a été maximisée grâce à de nouveaux percements ciblés et à un jeu de transparences intérieures. Le rez-de-chaussée, autrefois relégué à un usage annexe, a été repensé comme un prolongement naturel de la maison : modulable, traversant, et connecté au jardin.
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Y a-t-il eu des surprises ou des découvertes marquantes pendant la phase de travaux ?
Oui, notamment lors de la dépose de certains planchers, nous avons mis au jour un ferraillage très dense, révélateur d’une construction techniquement ambitieuse pour l’époque. Cela a confirmé notre lecture initiale : cette maison n’était pas une simple maison en pierre mais bien une expérimentation structurelle autour du béton armé. Cette découverte a à la fois conforté certaines options de renforcement que nous envisagions, et révélé une volonté originelle de durabilité très forte de la part du constructeur.
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Quelle est votre plus grande satisfaction à l’issue de ce projet ?
Avoir permis à cette maison de retrouver une cohérence d’usage et de révéler sa richesse constructive. Le fait que le rez-de-chaussée soit aujourd’hui habité, ouvert sur le jardin, et pleinement intégré à la vie quotidienne de ses occupants est une vraie réussite. C’est aussi très gratifiant d’avoir pu respecter l’esprit du lieu tout en le projetant dans un nouveau cycle de vie, adapté à notre époque.
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Travaillez-vous actuellement sur d’autres projets similaires à Montpellier ou dans la région ?
Oui, je suis engagée sur plusieurs projets de réhabilitation dans la région, notamment des maisons construites entre les années 40 et 70, qui présentent des caractéristiques similaires : hybridation des techniques, expérimentations structurelles, logiques d’usage figées. Ces projets sont passionnants car ils exigent une lecture fine du bâti, une approche sur-mesure et une capacité à négocier entre préservation, transformation et projection vers de nouveaux usages. En parallèle, je travaille également sur des projets de constructions neuves, qui viennent enrichir et compléter cette démarche. Travailler à la fois sur du bâti existant et sur du neuf est très complémentaire : cela permet de nourrir les projets neufs de tout l’enseignement tiré de la réhabilitation, et d’apporter aux réhabilitations une lecture plus contemporaine et prospective de l’habitat.
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emmanuelle-navarro.com