Si ce n’étaient ses caractères hérités du passé – parquet en point de Hongrie, moulures et cheminées -, ce bel appartement haussmannien de la fin du XIXe siècle ne présentait aucun charme particulier. Et encore eut-il fallu se montrer sensible à ce legs patrimonial, ce qui n’était pas le cas au départ de son nouveau propriétaire, figure internationale de la mode, davantage réceptif aux canons de l’architecture contemporaine qu’aux décors du Second Empire français. Entre autres missions, l’architecte Thibaut Picard allait devoir trouver une manière d’intégrer les riches ornements moulurés des plafonds aux conceptions esthétiques d’un collectionneur de mode et de design.
La modernisation de l’appartement passait d’abord par une adaptation de son plan aux exigences de confort actuelles. Outre trois belles pièces de réception positionnées en enfilade côté rue et une généreuse chambre à coucher côté cour, celui-ci abritait une cuisine exiguë, une grande salle de bains et un cabinet de toilettes microscopique, toutes les pièces se trouvant desservies par un couloir dont la belle profondeur était entrecoupée de portes.
Le déplacement de la cuisine dans l’une des trois pièces de réception a permis de reconfigurer l’espace autrefois dévolu à cette pièce et aux salles d’eau qui l’avoisinaient. À leur place se trouvent aujourd’hui deux salles de douche, une connectée au couloir et au bureau chambre d’ami installé dans l’ancienne pièce de réception voisine, l’autre exclusivement commandée par la chambre principale avec laquelle elle forme une véritable suite indépendante.
Un couloir sublimé
Agrandi sur la chambre et l’ancien cabinet de toilettes, libéré des portes qui le scandaient, le couloir a gagné une axialité parfaite qui permet de mieux apprécier ses proportions. Mis en lumière par des plafonniers vintage, en couleur par un prune laqué, il offre d’intrépides perspectives aux différentes pièces de l’appartement qui continuent de converger vers lui. Sa mission de circulation s’est par ailleurs vue doublée de nouveaux usages avec l’intégration d’un linéaire de placards menuisés sur mesure contre l’un de ses murs et d’une bibliothèque USM contre l’autre. À noter, les anciens passages autrefois occupés par des portes-fenêtres ont été habillés par des panneaux laqués d’une teinte identique à celle des pièces de réception.
Parti pris coloré
À ce prune laqué de l’entrée et du couloir s’associent une couleur marron glacé dans les pièces de réception, une teinte kaki foncé dans la chambre et une déclinaison de beiges dans les salles de bains, palette masculine déterminée en collaboration avec le client, à partir de quelques pièces majeures de son mobilier. Emblématique du travail de Thibaut Picard, cet usage de la couleur atteint ici un nouveau degré d’audace avec la mise en couleur systématique de tous les plafonds. Provoquant un effet boîte dans le couloir et la chambre, cette mise en couleur bouscule l’univers classique des pièces de réception. Le relief des moulures s’en trouve comme absorbé, à la fois mis en avant et en retrait.
De l’élégante et discrète cuisine, constituée d’un simple linéaire bas aux allures de console épurée, aux luminaires signés par les grands noms du design (applique « Araignée » de Serge Mouille dans le salon, suspension Diabolo d’Achille Castiglioni dans la salle à manger, lampes à poser Artémide et Flos dans le bureau chambre d’ami) en passant par les iconiques tables « Tulipe » d’Eero Saarinen dans la chambre d’amis ou « Compas » de Jean Prouvé dans la salle à manger, l’ameublement multiplie les signes extérieurs de contemporanéité et inscrit résolument l’univers classique haussmannien dans notre époque.
Interview minute de Thibaut Picard
Spécialisé dans l’architecture intérieure, quelles sont vos inspirations ?
Je m’inspire des lieux, des environnements qui sont différents pour chaque projet.
Avez-vous un style particulier ou des préférences ?
J’aime travailler la couleur comme la continuité d’une expression architecturale.
Dans ce projet quelles ont été vos contraintes principales ?
Créer une cuisine qui s’intègre entièrement dans l’espace et qui disparait au profit des œuvres d’art et du mobilier vintage.
Quels éléments anciens avez-vous pu ou voulu garder ?
Les moulures, les corniches et les décors en bois ou en staff.
Pouvez-vous nous donner vos 2 ou 3 objets designs préférés ?
Le fauteuil Zen de Kwok Hoï Chan pour Steiner, le fauteuil Cherner de Norman Cherner pour Cherner Chair Company, La lampe à poser pivotante de Charlotte Perriand pour Nemo.
