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Un palace entre mythes et légendes

Texte : Isabelle Aubailly

Le mythe de la Réserve Beaulieu, refuge idyllique face à la Méditerranée, s’est construit au fil du temps. Une histoire belle, simple, romantique qui raconte l’histoire de la Côte d’Azur de 1880 à nos jours et la beauté de ses paysages ensoleillés. Aujourd’hui, Nicole et Jean-Claude Delion, les propriétaires actuels, insufflent à ce mythe, une énergie sans cesse renouvelée  : l’incarnation du luxe à la française.

Nous sommes en 1880… L’été passé, la Côte d’Azur voit arriver le Gotha européen. Elisabeth d’Autriche, inoubliable Sissi, croise toute la cour du Tsar de Russie. La Reine Victoria fuit le brouillard londonien en installant ses quartiers d’hiver au Regina, le plus beau palace de la Riviera. Charles, le prince de Monaco, et François Blanc, le roi des casinos, accueillent tout ce beau monde autour des tapis verts de Monte-Carlo. Les salles de jeux de la principauté ne désemplissent plus depuis qu’une route la relie à Nice. Elle passe par un petit hameau tranquille situé à la sortie de Villefranche-sur-Mer. On le nomme Beaulieu. 

Ce n’est sans doute pas par hasard. Son microclimat en fait le coin le plus ensoleillé de la Côte d’Azur. Une douceur de vivre qui donne des idées à quelques riches Anglais revenus des Indes et à un restaurateur français : Pierre Lottier. 

Il construit en bord de mer un restaurant de luxe. Il entend y servir le meilleur poisson qui soit. Son idée ? Creuser un grand bassin où les pêcheurs du cru viendront déverser leurs prises à peine sorties des filets. Très vite, les marins surnomment ce vivier “la réserve”. Lottier adopte le nom : la Réserve de Beaulieu est née. 

L’adresse séduit rapidement têtes couronnées et grands bourgeois. Léopold II, roi des Belges, y a ses habitudes. Gordon Bennett, magnat de la presse américaine, l’aime tant qu’il y fait installer le téléphone pour pouvoir réserver rapidement sa table. En 1905, Pierre Lottier prend une décision qui va définitivement sceller le destin de son établissement : il fait construire une dizaine de chambres luxueuses. Leur succès est immédiat. Il ne se démentira pas jusqu’à la Grande Guerre et reviendra avec les Années Folles.

À la Réserve comme ailleurs, la vie est alors un tourbillon. De Gustav V, roi de Suède, à Mistinguett, la fine fleur de l’époque s’y donne rendez-vous. Las ! La Seconde Guerre met fin une nouvelle fois à cette féerie. Quand vient l’Armistice, la famille Lottier n’a plus le courage de relancer une troisième fois leur affaire. Il la cède à un certain Jacques Laroche. Le nouveau propriétaire voit grand. Il ne garde que la galerie véranda qui, depuis 1880, abrite le restaurant et fait raser tout le reste. Une grande villa d’inspiration florentine voit alors le jour. Elle compte 25 chambres puis, après une seconde vague de travaux, le double. 

Puis il confie les clés de son hôtel à Jean Potfer. En 30 ans de labeur, ce professionnel de talent va hisser la Réserve de Beaulieu parmi les plus grands palaces du monde. À son départ, en 1977, l’établissement entame un long déclin. Il dure près de 20 ans jusqu’à ce que Nicole et Jean-Claude Delion, réveillent la Belle endormie. Ils ont déjà sorti de l’oubli la Résidence de la Pinède, l’un des établissements emblématiques de Saint-Tropez. 

Leur passion, leur labeur, leur savoir-faire va également faire des merveilles à Beaulieu. Chaque hiver, le palace s’embellit davantage. Une piscine miroir, une boutique éphémère, un spa, un restaurant étoilé au célèbre Guide Rouge et un bistrot chic : la vie en ces lieux est un plaisir sans cesse renouvelé. 

On arrive en fin de journée à la Réserve, un jour calme où le soleil cherche à s’immiscer à travers les nuages. Le site, les pieds dans l’eau, offre à contempler l’horizon, la mer et l’azur en un seul regard. Nicole et Jean-Claude Delion, propriétaires de ce site extraordinaire maintiennent le juste équilibre entre passé et présent dans cet endroit hors du temps, quasi intouchable. Cultiver le luxe, garder l’authenticité, remettre ses murs dans l’époque, et surtout, vivre l’histoire au présent sont les enjeux qu’ils entendent préserver ensemble.

Notre suite est décorée avec soin dans des couleurs sable, champagne et blanc. Les meubles sont un mélange d’ancien et de contemporain, réalisés sur mesure par un ébéniste d’art. On ouvre la large fenêtre, un balcon se découvre avec vue sur la mer. 

Le murmure des vagues monte jusqu’à nous et des parfums méditerranéens, mélange d’épines de pins, d’iode et d’immortelles se mêlent à notre contemplation. Au loin, les silhouettes des blocs de roche de la côte se découpent sur les eaux calmes et lisses de la Méditerranée, un voyage méditatif modelé par la lumière des dernières heures de la journée.

Une douce musique s’élève, un piano joue quelque part entre les hauts murs roses de la villa florentine. Colosse magnifique aux boiseries flamboyantes, le bar Gordon Benett s’ouvre sur le patio végétalisé. Tous les soirs, un pianiste berce de mélodies jazzy les invités. Flacons flamboyants et lumière douce, le lieu est propice aux conversations et rires en ce début de soirée. Si vous préférez, il y a le salon aux accents anglais qui propose de précieux élixirs. Sur les murs, des photos en noir et blanc nous racontent les Indes d’antan, celles des Maharadjas et des officiers britanniques. Une invitation au voyage que prolonge une grande malle garnie de romans d’aventure.

Le Chef nous attend. Julien Roucheteau, chef étoilé au guide Michelin & Meilleur Ouvrier de France en 2019 fait honneur à la réputation de la table berlugane. Marc Piquet, le directeur de la restauration nous reçoit dans la véranda qui surplombe la mer. Des tables rondes joliment nappées se font face dans une ambiance très douce. Le service est élégant, le sommelier de la maison, Wilfried, est un grand connaisseur des meilleurs crus français et il nous accompagne dans notre dégustation. 

Des mises en bouche comme les fameux calissons à base de pois chiche, la pissaladière ou la Socca aux artichauts, plats traditionnels niçois, revus par le Chef pour transformer notre découverte en émotions. Les saveurs sont fameuses, les cuissons idéales. Un nuage de blette à la texture incroyable revisité avec des pignons croquants, des asperges de Carpentras au kumquat et olives, des ravioles de pissenlit… les légumes sous les mains de Julien Roucheteau ont une autre allure, un goût inimitable. Mais il sait aussi cuisiner avec talent le rouget ou l’agneau. Une expérience emplie de sensations qui se termine par le fameux soufflé au Grand Marnier, c’est parfait, juste incroyable, aérien, légèrement sucré, parfumé…  Je ne pensais pas qu’un dîner pouvait se transformer en exaltation. Wilfried, le sommelier, nous fait découvrir des nectars de vignobles français comme ce Jurançon blanc sec dénommé Memoria de la maison Castéra, une cuvée qu’on ne risque pas d’oublier. 

Le ciel au-dessus de l’eau est sombre mais la piscine éclairée dans la nuit projette sa silhouette longiligne. Renouer avec l’esprit d’une odyssée méditerranéenne intacte privilégiant l’essentiel, les moments de vérité et le goût de la liberté. Et pourtant, l’envie de prolonger ces instants uniques dans le salon anglais, un jeu de backgammon en noir et blanc, un verre d’armagnac, instants suspendus…

Au petit matin les rayons du soleil inondent la chambre, conservant la plénitude des lieux, dans sa beauté tout en imaginant une nouvelle journée dans ce lieu qui garde entre ces murs le rire de Mistinguett, le regard d’Elizabeth Taylor et la silhouette de Rita Hayworth. Le petit-déjeuner est servi sur la terrasse face à la mer : gâteaux maison, confitures rares, pains multiples, fruits frais et douceurs salées et sucrées se succèdent sur le buffet. Un thé Earl Grey à la fine saveur de bergamotte, une cuillère de miel, une fraise et une tartine à l’orange amère… le bonheur n’est pas loin. Dans le prolongement de la terrasse, la mer se contemple, des points de vue s’improvisent pour mieux rêver. 

Je cours vers le spa situé au niveau de l’eau. Nouvelle décoration pour un nouvel espace signé La Prairie, marque emblématique du luxe absolu. Je plonge dans l’univers du caviar pour 90 minutes de plénitude. Véritable parenthèse bien-être, ce protocole de soin du visage renforce l’élasticité, pour une peau lissée et raffermie. Le teint est clair, l’œil est vif, je ressors souriante de ces instants pour soi. 

Profondément attaché à ce refuge méditerranéen, le couple Delion semble avoir réussi le pari fou d’allier le luxe à la gastronomie, au bien-être et à la culture. 

Les nuages nombreux ont assombri l’horizon. Nous quittons la Réserve pour l’une des plus belles demeures de la Côte d’Azur la Villa Ephrussi, délicieux palais vénitien construit à l’entrée de Saint-Jean Cap Ferrat. Elle fut imaginée par Béatrice Ephrussi 

de Rothschild, riche héritière de la Belle Epoque qui s’inspira des paquebots de croisière. C’est juste un musée mais le rêve continue… 

La Réserve de Beaulieu 

5 Boulevard du Maréchal Leclerc 

06310 Beaulieu-sur-mer 

Tél : +33 4 93 01 00 01

www.reservebeaulieu.fr 

« ll n’y a qu’un mot dans notre métier : PLAISIR ! » raconte le Chef. 

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